dimanche 10 janvier 2010

Les noms du Saguenay et du Lac-Saint-Jean


L'origine et la pérennité du nom

Les discussions qui ont été menées depuis quelques années sur les noms du Saguenay et du Lac-Saint-Jean, auxquelles on a mêlé toutes sortes d'autres questions, ont amené sur le fond du sujet une confusion telle que je crois nécessaire de faire un effort pour aider à y voir clair. L'histoire du nom du Saguenay est le meilleur sinon le seul bon moyen de voir la véritable place qui lui appartient dans la géographie, l'histoire et la publicité. Elle permettra en même temps de situer celui du Lac-Saint-Jean.

Ce qu'il désigne

Trois entités géographiques portent actuellement le nom Saguenay :
une région, un cours d'eau, une division électorale. La région (toujours la même), de temps immémorial; le cours d'eau (fjord et rivière), depuis 1535; la division électorale (d'étendue et de localisation variable), depuis 1829.

Pour éviter toute confusion, dans certains contextes pouvant prêter à équivoque, on emploie l'expression "Royaume du Saguenay" lorsqu'il s'agit de la région, «rivière Saguenay» ou «fjord Saguenay», selon le cas, quand il s'agit du cours d'eau; «comté de Saguenay» pour désigner la division électorale.

L'origine du nom

Par son origine le nom de la région du Saguenay se place en tête des plus authentiques qu'on puisse trouver dans la toponymie canadienne.

Ce nom, qui signifie «eau qui sort», «d'où l'eau sort», désignait un pays particulier de la vallée du Saint-Laurent avant la venue des Blancs; il le désignait par un trait descriptif qui le caractérise: le pays d'où viennent les eaux qui vont, d'un côté, au grand fleuve et, de l'autre, à la baie James; et depuis, il n'a pas cessé de s'appliquer au même territoire. Certains autres noms comme Labrador, Canada, Hochelaga, sont aussi anciens, mais ils ne remplissent pas toutes ces conditions d'authenticité. Labrador vient de l'étranger et ne cadre pas par le sens du mot avec le pays qu'il désigne: Canada a changé plus d'une fois d'application au cours de l'histoire; Hochelaga s'applique aujourd'hui à une chose différente de la bourgade disparue qui originairement portait ce nom. Tandis que le nom régional Saguenay n'a jamais cessé de désigner le même territoire; il a de plus quatre siècles de permanence et de fidélité à lui-même.

Ce territoire a été indiqué avec précision au découvreur du Canada, Jacques Cartier, par les habitants du pays, les Indiens. Il s'étendait depuis la rive du Saint-Laurent, entre l'embouchure de la rivière Moisie (en bas de Sept-Iles) et l'île d'Orléans, jusqu'à une distance d'«une lune» de trajet vers l'ouest à partir de Tadoussac, ce qui reporte à une centaine de milles à l'ouest du lac Saint-Jean. Il n'y a donc aucune équivoque possible sur l'identité du territoire primitivement appelé Saguenay et celui que nous continuons d'appeler ainsi et qui contient les six régions de la Côte-Nord, de Chicoutimi, du Lac-Saint-Jean, de Chibougamau, de Charlevoix et du parc des Laurentides.

La pérennité du nom

Prétendre que le nom du Saguenay n'a plus sa place dans la géographie et la publicité parce qu'on est «en 1963» est évidemment puérile, pour ne pas dire plus. Un nom, surtout quand il décrit la chose qu'il désigne et compte des siècles d'emplois constant, ne perd rien de ses droits avec le temps, au contraire. Mais cette prétention qu'il serait à reléguer aux oubliettes s'est affichée avec une telle persistance qu'il est opportun de faire la preuve de son droit de cité. La manière la plus simple de faire cette preuve est de dresser une liste des témoignages de l'emploi du nom pour désigner la même région jusqu'à maintenant.

La liste complète des noms qui font autorité en cette matière serait trop longue et elle n'est pas nécessaire. Citons les plus connus de ceux qui ont reconnu le nom et la chose: ce que nous appelons le Saguenay:

Jacques Cartier, le premier qui en a révélé l'existence et a inscrit le Saguenay dans la géographie et l'histoire, en 1535; le sieur de Roberval, qui en a été fait le vice-roi et qui a tenté de s'y rendre en 1543; le géographe Jean Alfonse, qui est venu étudier les lieux pour sa Cosmographie universelle et qui a le premier représenté le lac sous le nom de «mer du Saguenay»; les neveux et arrière-neveux de Cartier, leurs associés et leurs concurrents, qui ont fréquenté les lieux pendant 45 ans...

Les rois de France François 1er , Henri III, Henri IV, Louis XIII, qui l'ont inscrit dans les documents officiels, et Louis XIV, qui en a fait, en 1674 un «Domaine du Roi», transmis à ses successeurs et ensuite aux rois d'Angleterre...

Samuel de Champlain, qui a plus d'une fois voulu compléter l'exploration du pays du Saguenay; les commerçants de fourrures pendant 300 ans et les missionnaires pendant 140 ans; les habitants du pays du Saguenay: Mistassins, Mekoubanistes, Piékouagamiens, Chicoutimiens, Tadoussaciens, Betsiamites, Papinachois, Oumanieks...

Les cartes géographiques anciennes, qui inscrivent le nom Saguenay comme désignation de pays plus de 70 fois dans la période de 300 ans qui a précédé la colonisation (voir Saguenayensia, juillet-août 1963)...

L'ingénieur Joseph-Laurent Normandin, qui est venu marquer les limites du Saguenay à titre de «Domaine du Roi» en 1732; plus tard, l'équipe des légistes et archivistes qui ont démarqué par une ligne le contour de ce Domaine du Roi sur la carte dressée par eux pour baser le jugement du Conseil privé d'Angleterre au sujet des limites entre le territoire du Labrador et celui de la province de Québec...

Paschal Taché, père et fils, qui ont passé une grande partie de leur carrière dans le Saguenay et en ont dessiné une carte en 1725; Marc-Paschal de Sales Laterrière, député du Saguenay pendant 17 ans, le notaire Ch.-H. Gauvreau, le grand chef indien Nicolas Vincent, consultés par l'Assemblée législative comme particulièrement connaissants sur le territoire du Saguenay...

Les députés du Bas-Canada, qui, en 1828, créaient une «Commission pour explorer le Saguenay» en vue de la colonisation; les «Commissaires explorateurs du territoire du Saguenay», les arpenteurs, géologues et ingénieurs qui ont exécuté cette exploration de la région en tous sens; les députés qui, en 1829, donnaient le nom de «comté de Saguenay» au district électoral correspondant à cette région...

Les membres de la Société des Vingt-et-Un, qui ont ouvert le Saguenay à la colonisation, il y a 125 ans; ceux de la Société des défricheurs de la Pivière-aux-Sables, qui ont colonisé le canton Jonquière, en 1847; ceux de l'Association des comtés de l'Islet et de Kamouraska pour coloniser le Saguenay, qui ont commencé la colonisation de la région de Lac-Saint-Jean, à Hébertville, en 1849...

L'abbé Hébert, qui a conduit les équipes de colonisateurs, et l'abbé Pilote, auteur du premier ouvrage composé sur la région: «Le Saguenay en 1851»; les arpenteurs D.-S. Ballantyne, P.-A. Tremblay, Louis Legendre, J.-B. Duberger, P.-H. Dumais, et autres spécialistes de la précision géographique...

Mgr Dominique Racine, l'éminent connaisseur et réalisateur qui a mérité le titre d'«Apôtre du Saguenay» et tous ses successeurs; les Délégués Apostoliques, qui, du premier au dernier, ont fait visite au «Royaume du Saguenay»...

Tous les fondateurs de nos journaux, maints auteurs (Drapeau, Huard, Béchard, Chambers, Murray, Provencher, Potvin, Barbeau, etc), nos députés les plus célèbres (Étienne Parent, David et William Price, P.-A. Tremblay, Ernest Cimon, Élie St-Hilaire, Joseph Girard, Vilmont et Edmond Savard, Émile Moreau,... pour ne nommer que des disparus), plus d'un ancien maire d'Hébertville, de Roberval, de Saint-Prime, de Saint-Félicien, Chicoutimi, etc., nombre de curés de toutes les parties du diocèse, et combien d'autres! Nous avons relevé plus de 2000 citations de l'emploi du nom du Saguenay comme désignation de la région.

Ajoutons à ces témoignages la conclusion de tous ceux qui ont étudié spécialement la question de ce nom entre autres les suivants: les fondateurs de la Société historique du Saguenay, le Comité de toponymie du Québec, la Commission du tourisme...


source :
HISTOIRE QUÉBEC
JUIN 1999
VOLUME 5 NUMÉRO 1


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