lundi 7 décembre 2009

Ancienneté, continuité et stabilité orthographique : toponyme saguenay


La rivière et chemin du Royaume et terre du Saguenay


Ancienneté, continuité et stabilité orthographique: telles sont les caractéristiques principales du toponyme Saguenay qui, sans tenir compte des composés, désigne quatorze entités géographiques spatiales et ponctuelles du Québec, dont une région, une rivière et un fjord, notamment.


Saguenay, ce fut d'abord le nom d'un territoire dont les Autochtones ont signalé l'existence à Jacques Cartier dès 1535. En effet, dans sa Narration de son deuxième Voyage, le découvreur malouin désigne le plus souvent cet espace comme étant un royaume, mais il utilise aussi parfois les génériques province et même terre. Ailleurs dans cette Relation, il écrit seulement Saguenay sans terme générique.


Le royaume du Saguenay, note l'historien Victor Tremblay, est cette vaste région qui s'étend de la rive gauche du fleuve Saint-Laurent entre la circonscription de Charlevoix et Sept-Îles jusque vers le milieu de l'Abitibi et, d'autre part, depuis la limite sud de la réserve faunique des Laurentides jusqu'aux confins du Nouveau-Québec. Du temps de Cartier, ce territoire était beaucoup plus étendu, comprenant aussi la région du Haut-Saint-Maurice, de l'Abitibi en entier et du Témiscamingue.


Les Autochtones ont révélé à Cartier qu'en ce lieu «sont les gens vêtus et habillés de drap», comme les Européens. Au sujet de ce mythe que Cartier a trouvé répandu chez les Hurons-Iroquois, le célèbre historien canadien W.F. Ganong a émis l'hypothèse que la mention de Blancs, vêtus de laine, peut faire référence à une ancienne tradition relative à la présence des Normands ou Vikings à la baie d'Hudson.


Les Européens adoptèrent rapidement cette dénomination, Royaume du Saguenay, avec une étendue cependant plus réduite, dont les limites traditionnelles ont été fixées par ordre du roi de France en 1732. Ce territoire, fameux pour ses richesses, fut également connu sous les noms de Domaine du Roy et de Traite de Tadoussac de 1674 à 1842.


Saguenay est ensuite le nom d'une rivière importante du Québec. Après avoir devisé longuement sur le territoire du Saguenay, Cartier signale un peu plus loin dans sa Relation de 1535-1536 que le cours d'eau qui y conduit porte le même nom. Il l'indique d'abord sous forme de périphrase «la rivière et chemin du royaume et terre du Saguenay». Victor Tremblay observe que le nom de Saguenay désignait le territoire «d'où l'eau sort» et non pas la rivière. Ce qui est d'ailleurs conforme à l'étymologie du mot amérindien Saki-nip, qui signifie, «eau qui sort» ou «source de l'eau».


La forme graphique Saguenay, écrite par Cartier dès 1535, a été beaucoup plus stable, de sa création jusqu'à nos jours, que ne l'ont été bien d'autres noms de lieux autochtones du Québec. On pourrait être tenté d'expliquer cette stabilité par l'importance de la découverte et des richesses que recèle ce territoire. Mais est-ce suffisant? Il n'est pas sans intérêt de signaler aussi que ce nom de lieu toujours orthographié Saguenay par Cartier est répété 19 fois dans sa Narration de 1535-1536, et deux autres fois dans sa Relation de 1541-1542. Cette constance dans son écriture a certainement été un facteur déterminant car c'est cette forme orthographique primitive qui s'est imposée.


Quelques variantes graphiques du toponyme Saguenay, telles «Sagnay» et «Saguene» ont paru surtout sur des cartes du XVIe et du début du XVIIe siècles. Elles ont disparu rapidement pour être remplacées par la suite par la forme Saguenay. Les récits de voyages de Samuel de Champlain montrent une démarche analogue à la cartographie de cette époque. Dans un premier temps, le fondateur de Québec orthographie ce nom de lieu de trois façons différentes: Sagenay (1603); Sacqué (1609) et Sacquenay (1615). Ensuite, Champlain emploie toujours la graphique Saguenay qui avait été retenue par le découvreur du Canada.


Et qui plus est, Cartier fixe le genre de ce nom de lieu, également en 1635, quand il écrit «du Saguenay» et «au Saguenay». Le cours d'eau a conservé le genre masculin jusqu'à nos jours. Signalons seulement que le cartographe français Levasseur indique sur son plan de 1601 la forme féminine La Saquenee.


Les autres dénominations pour désigner la rivière ou le fjord sont très peu nombreuses. En voici deux qui ne semblent pas avoir eu une très grande importance historique. Dans son Grand insulaire, l'historiagraphe français André Thévet, au XVIe siècle, appelle le Saguenay «Thadoyzeau». D'autre part, on doit à Nicolas Bellin ainsi qu'au père Laure deux cartes datées respectivement de 1731 et de 1744, attestant que PITCHITAOUITCHEZ était le mot autochtone en usage pour désigner le Saguenay.


J.P.


(Documents de la Commission de toponymie du Québec, série «Origine de»).

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